L’efficacité et le bon fonctionnement du conseil d’administration dépendent en partie de sa capacité à déléguer, encadrer et délimiter les pouvoirs des dirigeants chargés d’assurer la gestion de l’entreprise.

Le mécanisme de la délégation de pouvoirs est un outil de gestion flexible et adaptable aux exigences d’efficience et de bonne gouvernance de chaque entreprise. Il présuppose l’existence d’une bonne relation entre le conseil d’administration et la direction. Cela veut dire :

  • Le conseil d’administration doit collectivement orienter et superviser la gestion de l’organe délégué.
  • Chaque administrateur doit s’impliquer dans l’administration et supervision de la société et doit exercer son droit à l’information.
  • Les membres de la direction doivent, dans l’exercice de leurs fonctions, respecter la loi, les statuts, les règles d’éthique et mettre en œuvre les orientations du conseil d’administration afin de prévenir et gérer les risques liés à l’exercice de l’entreprise.

L’établissement d’un dispositif de délégation de pouvoirs performant s’avère donc être un outil essentiel pour prévenir les risques liés à la gestion de l’entreprise et les risques de corruption pouvant affecter les relations d’affaires entretenues par l’entreprise avec ses clients, partenaires, fournisseurs ou avec les autorités et les institutions.

Fonctionnement de la délégation de pouvoirs  

Le mode de fonctionnement de la délégation de pouvoirs dans une grande entreprise est assez simple : le chef de l’équipe de direction accomplit son devoir en répartissant les pouvoirs et responsabilités entre ces cadres supérieurs, qui à leur tour, confient à leurs subalternes des responsabilités spécifiques pour l’accomplissement de leurs propres missions.

La mise en œuvre du mécanisme de la délégation de pouvoirs permet de distinguer le volet de la gestion de celui du contrôle.

Le premier volet est axé sur l’objectif d’assurer la répartition des pouvoirs, la coopération et la coordination entre les différentes directions constituant l’organisation opérationnelle de l’entreprise. Le leadership du chef de la direction joue un rôle décisif car c’est lui qui a la responsabilité d’orienter et de provoquer les changements nécessaires pour produire des comportements susceptibles de permettre à l’entreprise d’attendre les objectifs qu’elle s’est fixés.

Le deuxième volet est axé sur la surveillance exercée par le conseil d’administration sur la gestion menée par l’équipe de direction. Un conseil d’administration peut exercer cette mission efficacement surtout quand l’entreprise est dotée d’un dispositif de délégation de pouvoirs structuré et performant, d’un système de contrôle interne adéquat et de moyens de communication efficaces.

La situation se complique si l’entreprise est de petite taille puisque dans ce cas la délégation de pouvoirs peut être utilisée par le dirigeant pour échapper à sa responsabilité notamment s’il est également le principal actionnaire de celle-ci.

Et même dans le cas où le dispositif de la délégation de pouvoirs n’est pas bien encadré juridiquement par loi. Cela peut faciliter la commission de graves fautes de gestion et poser un grave problème de gouvernance.

Différences entre la France et l’Italie en matière de délégation de pouvoirs

Les approches française et italienne en matière de délégation de pouvoirs présentent des différences de fond importantes en raison de la diverse organisation du pouvoir au sein des sociétés cotées des deux pays.

  • La délégation de pouvoirs en France

En droit français des sociétés, la délégation de pouvoirs n’est pas un outil de gestion, mais un outil de management. Ce qui explique probablement la raison du manque d’encadrement juridique, aucun texte ne définissant la nature, les effets ou les conditions de validité de ce mécanisme de gouvernance.

En France, la délégation de pouvoirs est une invention prétorienne : elle a été précisée au fil du temps par des décisions de la jurisprudence et par la pratique constante des affaires.

Selon la jurisprudence, la délégation de pouvoirs poursuit la finalité d’optimiser l’organisation des sociétés dès que celles-ci atteignent une certaine importance. En sus, elle permet d’exonérer le chef de la direction de sa responsabilité pénale dans le domaine objet de la délégation.

Le droit français des sociétés a maintenu une conception institutionnelle du pouvoir de façon à en assurer la stabilité au sein de l’organisation d’entreprise.

C’est le conseil d’administration qui désigne les dirigeants de l’entreprise après avoir évalué qu’ils possèdent les compétences et les qualités professionnelles nécessaires pour assurer la stabilité, la perpétuité et donc la bonne gestion de l’entreprise.

Le directeur général (ou le P-DG en cas d’unification des fonctions) est ainsi investi :

« des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société. Il exerce ses pouvoirs dans la limite de l’objet social et sous réserve de ceux que la loi attribue expressément aux assemblées d’actionnaires et au conseil d’administration. Il représente la société dans ses rapports avec les tiers »[1].

Il en résulte que le directeur général (ou le P-DG selon le cas) dispose d’un pouvoir important et peut exercer une action directe et décisive sur le bon fonctionnement de l’équipe de direction et sur les cadres dirigeants placés à la tête des directions opérationnelles de l’entreprise.

Ce pouvoir découle de la loi et non d’une délégation de pouvoirs conférée par le conseil d’administration.

  • La délégation de pouvoirs en Italie

Contrairement au droit français, le droit italien des sociétés organise la délégation de pouvoirs et dispose que :

« sauf disposition contraire des statuts ou de l’assemblée générale, le conseil d’administration peut déléguer une partie de ses pouvoirs à un comité exécutif, composé de certains de ses membres, ou à un ou plusieurs administrateurs délégués »[2].

Le processus d’attribution de la délégation de pouvoirs s’articule donc en trois étapes :

  • Les statuts ou bien une décision spécifique de l’assemblée générale des actionnaires doivent autoriser le conseil d’administration à accorder des délégations de pouvoirs.
  • Le conseil d’administration, à son tour, doit adopter une décision afin de conférer une délégation de pouvoirs à l’organe délégué. Cette décision doit établir la portée, la durée, les modalités d’exercice de la délégation de pouvoirs, les seuils significatifs limitant le pouvoir d’engagement de l’organe délégué, ainsi que les instructions auxquelles doit se tenir cet organe.
  • L’acceptation de la délégation de pouvoirs de la part des membres du comité exécutif ou bien de la part d’un ou plusieurs administrateurs délégués.

La mise en œuvre du dispositif de la délégation de pouvoirs permet ainsi de réaliser une distinction nette entre les délégants et les délégataires. Les délégants (les membres du conseil d’administration) sont investis de l’administration directe de l’entreprise, c’est-à-dire qu’ils ont la responsabilité de définir les orientations et la stratégie de l’organisation.

Les délégataires, par contre, ont en charge la gestion opérationnelle de l’entreprise, étant responsables de mettre en œuvre les objectifs stratégiques établis collectivement par le conseil d’administration.

Les pouvoirs accordés aux organes délégués trouvent leur source dans l’acte de nomination du conseil, c’est-à-dire que ceux-ci ne sont qu’un développement du pouvoir d’administration attribué par la loi au conseil d’administration.

Autrement dit, les organes délégués ne sont qu’une articulation « inter-organique » du conseil d’administration. A travers l’établissement du dispositif de la délégation de pouvoirs, les dirigeants sont investis d’un pouvoir de direction – qu’ils exercent individuellement et en totale autonomie – grâce auquel ils prennent des décisions qui, en réalité, relèvent de l’influence et de la compétence collective du conseil d’administration.

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[1] v. Article L.225-56 alinéa 1 et 2 du Code de commerce

[2] v. Article 2381 alinéa 2 Code civil