Cela fait déjà plusieurs mois maintenant qu’une tendance de fond s’opère sur l’indice Euronext Milan de la Bourse italienne où un certain nombre de sociétés cotées – qui jusqu’alors privilégiaient largement le système traditionnel avec conseil d’administration et collège syndical ou bien, dans une moindre mesure, le système dual avec conseil de gestion et conseil de surveillance – ont décidé de faire évoluer leur mode de gouvernance et d’adopter le système moniste.
Comment doit-on interpréter ce changement qui intervient dans un contexte plein d’incertitudes et de crises à répétition – énergétique, politique, économique, climatique, sociale – en Europe et dans le reste du monde ? Serait-ce une prise de conscience de la nécessité de rééquilibrer les pouvoirs dans les grandes et moyennes sociétés italiennes pour répondre aux enjeux de la concurrence internationale et de la transition environnementale, durable et responsable ?
Evolution de la société moniste
La société par actions de droit italien peut adopter trois modèles de gouvernance assez différents : le modèle traditionnel à conseil d’administration et collège syndical, le modèle dual à conseil de gestion et conseil de surveillance et le modèle moniste à conseil d’administration.
Le modèle de gouvernance le plus répandu est celui traditionnel régit par les dispositions du Code civil de 1942, mais fortement remanié par le décret législatif n°6 du 17 janvier 2003 portant sur la réforme du droit des sociétés, qui a renforcé la gouvernance des sociétés par actions au travers justement l’introduction de la société duale et de la société moniste.
Inspiré de l’expérience anglo-américaine et de la société européenne, le modèle moniste attribue la gestion et le contrôle de l’entreprise à la compétence exclusive du conseil d’administration. Au moins un tiers des administrateurs siégeant au conseil doivent être indépendants.
Le conseil est à la fois un organe exécutif et de contrôle puisqu’il est chargé de déterminer les orientations stratégiques de l’entreprise et d’assurer le contrôle sur certains aspects de la gestion, à savoir : l’organisation administrative et comptable et le contrôle interne.
Pour assurer ses fonctions de contrôle, il doit désigner, en son sein, un comité pour le contrôle de la gestion composé exclusivement d’administrateurs non exécutifs et indépendants, qui est chargé d’exercer un contrôle permanent sur l’administration de l’entreprise.
Aux termes des dispositions du Code civil, les administrateurs qui composent le comité pour le contrôle de la gestion doivent remplir les conditions suivantes : 1) ne doivent pas être des administrateurs exécutifs de l’entreprise, 2) doivent être indépendants et remplir les conditions d’honorabilité et d’indépendance prévues par les statuts et le Code civil, ainsi que par le Code de gouvernance d’entreprise et par le TUF, en ce qui concerne les sociétés cotées, 3) au moins un membre du comité pour le contrôle de la gestion doit être un réviseur comptable.
Autre particularité, le contrôle comptable relève de la compétence d’un reviseur légal ou bien d’une société de révision.
La société moniste présente donc l’avantage de privilégier le dialogue et le change d’information entre les membres du conseil d’administration, c’est-à-dire entre les administrateurs exécutifs investis du pouvoir de gestion et les administrateurs non exécutifs et indépendants investis d’un pouvoir de contrôle.
Cette formule de gouvernance est particulièrement recommandée pour les sociétés cotées très dynamiques (comme les start-ups), les entreprises bancaires et les entreprises ayant une vocation internationale.
Pour ces prérogatives spécifiques, la société moniste avait beaucoup pour plaire aux investisseurs et aux marchés en raison du fait que ce mode de gouvernance est de loin le plus répandu au niveau international.
Mais les choses se sont passées différemment ! Divers facteurs ont empêché la société moniste de rencontrer le succès espéré. La loi de réforme de 2003 a rénové de fond à comble le droit italien des sociétés, mais elle n’a pas réussi à bien encadrer l’organisation du pouvoir au sein de la société moniste.
La formulation trop générale des dispositions visées par le Code civil[1] et l’étroite similitude avec le mode de gouvernance traditionnel sont, de fait, à l’origine du faible développement de la société moniste.
Face à cet état des choses, il n’est pas étonnant que la majeure partie des sociétés cotées ont continué d’appliquer le modèle de gouvernance traditionnel avec conseil d’administration et collège syndical, qui, sans aucun doute, garantit une sécurité juridique accrue étant ce dernier plus ancré dans la tradition juridique et la culture entrepreneuriale italienne.
Code de gouvernance, TUF et l’incidence de la règlementation bancaire
En absence d’un cadre juridique organique, la doctrine et la pratique ont joué un rôle important dans l’interprétation des dispositions régissant l’organisation et le fonctionnement de la société moniste, en multipliant les occasions de débat et de partage d’expériences.
Néanmoins d’autres facteurs doivent également être pris en compte. L’ensemble des principes et normes visées par le Code de gouvernance d’entreprise de la Bourse de Milan et par le TUF (Texte unique de la finance introduit par le décret législatif n°24 du 24 février 1998, dit « Loi Draghi ») ont non seulement ravivé l’intérêt vers la société moniste, mais ont introduit d’autres principes et dispositions qui ont contribué à rendre les normes du Code civil plus lisibles
- Le Code de gouvernance d’entreprise a été déterminant de ce point de vue. Il a introduit la catégorie des administrateurs indépendants sur laquelle se fonde toute la structure de la société moniste, en précisant le rôle et les responsabilités.
- Le TUF, quant à lui, a approfondi les thématiques liées à la fonction de contrôle exercée par le comité de contrôle de la gestion et a bien encadré les pouvoirs d’information, de surveillance et de signalement dont dispose ce comité[2].
Mais l’influence majeure – dans cette démarche de redécouverte de la société moniste – a été exercée par la réglementation bancaire.
L’environnement bancaire est depuis toujours un véritable laboratoire d’expérimentation et d’innovation, étant plus sensibles aux cycles économiques et aux risques systémiques, technologiques, politiques, juridiques… Depuis la crise de 2008, les organismes internationaux et les législations des pays européens ont promu des principes et lignes directrices visant à renforcer la gouvernance et l’efficience des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques des établissements de crédit.
En Italie, la Banque d’Italie a adopté la Circolare n°285 du 17 décembre 2013, portant sur les dispositions de vigilance des banques, qui prévoit une série de normes visant à renforcer l’organisation du gouvernement d’entreprise au sein des établissements.
Modifiées à plusieurs reprises, ces dispositions règlementaires apportent des éclaircissements significatifs pour chacun des modes de gouvernance (traditionnel, dual et moniste). Elles insistent notamment sur la nécessité de distinguer clairement les fonctions de supervision stratégique, de gestion et de contrôle de façon à rééquilibrer les pouvoirs et les responsabilités entre les organes de gouvernance.
Ainsi, en ce qui concerne la société moniste, la Circolare n°285/2013 de la Banque d’Italie prévoit que :
- La fonction de supervision stratégique relève de la compétence du conseil d’administration qui doit définir les orientations stratégiques de l’entreprise, veiller à leur effective mise en œuvre et revoir régulièrement les stratégies et politiques régissant la prise, la gestion, le suivi et la réduction des risques liés à l’activité de l’établissement de crédit.
- La fonction de gestion est déléguée, compte tenu de la taille et de la complexité de l’activité de l’établissement de crédit, à un ou plusieurs administrateurs exécutifs qui doivent assurer la direction opérationnelle et la réalisation des objectifs stratégiques
- La fonction de contrôle relève de la compétence du comité du contrôle de la gestion qui doit vérifier l’adéquation et le fonctionnement correct de la structure organisationnelle, administrative et comptable. La Circolare n°285/2013 a élargi les pouvoirs du comité du contrôle de la gestion et lui a confié la surveillance du respect de normes de loi, règlementaires et statutaires. En outre, afin de garantir l’indépendance des membres du comité du contrôle de la gestion, la Circolare n°285/2013 précise que ces derniers doivent être désignés et révoques par l’assemblée des actionnaires.
La Circolare n°285 souligne clairement que le modèle moniste est un mode de gouvernance qui peut être adopté avec succès par les établissements de crédit qui opèrent sur les marchés internationaux – où ce type de modèle est dominant – ou par les établissements de crédit qui font partie d’un groupe.
Ce n’est donc pas par hasard si le modèle moniste a été adopté par un certain nombre d’établissements de crédit cotés : Intesa San Paolo (en 2016), Ubi Banca (en 2017), Illimity Bank (en 2022) et Unicredit (en 2023).
Sociétés monistes cotées sur Euronext Milan
Au cours de la période 2023 – 2024, les assemblées extraordinaires de 6 sociétés cotées sur le marché Euronext Milan (l’indice principal de la Bourse italienne) ont décidé d’adopter le modèle moniste d’administration et de contrôle.
Au sein d’Euronext Milan, on compte désormais 10 sociétés cotées ayant fait le choix d’opter pour la formule de gouvernance de la société moniste[3]. Parmi les 6 sociétés de l’échantillon, 5 sont des sociétés industrielles et 1 est une société bancaire. Il s’agit plus précisément de :
- UNICREDIT – Assemblée extraordinaire du 27 octobre 2023
- AEDES SPA – Assemblée extraordinaire du 15 avril 2024
- PIAGGIO & C. SPA – Assemblée extraordinaire du 18 avril 2024
- IMMSI SPA – Assemblée extraordinaire du 29 avril 2024
- CENTRALE DEL LATTE D’ITALIA – Assemblée extraordinaire du 29 avril 2024
- PININFARINA – Assemblée extraordinaire du 18 juin 2024
Bien évidemment, le succès de la structure moniste à conseil d’administration est encore assez limité, comme l’attestent les sociétés citées ci-dessus. On peut noter une tendance claire d’évolution, mais il est très tôt pour dire si cette tendance sera ou non de longue durée.
Conclusion
Les défis contemporains qui bouleversent le contexte actuel vont conduire les sociétés à des révisions très profondes de leur stratégie, et cela ne peut qu’accroître le rôle du conseil d’administration. Par ailleurs, de nombreux pays européen ont déjà ouvert des chantiers de réformes dans le but d’améliorer le droit des sociétés et la gouvernance d’entreprise.
En Italie, la loi Capitali du 4 mars 2024 propose diverses mesures pour améliorer la compétitivité des entreprises, moderniser les marchés et le cadre normatif de référence au travers notamment la révision du TUF.
Assonime (Association nationale des sociétés par actions) qui participe activement aux travaux de Place a déjà mis au point une série de propositions pour améliorer les modes de gouvernance des sociétés cotées, y compris le modèle moniste[4].
En particulier, Assonime propose de réécrire les dispositions du Code civil régissant le modèle moniste de gouvernance d’entreprise de façon à établir un corpus juridique organique et autonome, et de préciser notamment les compétences du comité du contrôle de la gestion pour les aligner sur les meilleures pratiques internationales.
Partant du constat que le comité du contrôle de la gestion est censé d’assurer un contrôle permanent sur la gestion de l’entreprise, Assonime propose d’élargir son périmètre d’action et de lui confier la responsabilité d’attester la conformité des informations non financières, d’assurer le contrôle légal des comptes, de veiller sur le bon fonctionnement des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques, et d’assurer le suivi de l’information financière et des rapports de durabilité.
Cela dit, on peut s’attendre à ce que l’encadrement du modèle moniste de gouvernance continue à se renforcer à l’avenir …
gp@giovannellapolidoro.com
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[1] v. Code civil, art. 2409 sexiesdecies, art. 2409 septiesdecies, art. 2409 octiesdecies et art. 2409 noviesdecies.
[2] v. TUF : art 151-bis (pouvoirs du comité du contrôle de la gestion), art 152 (pouvoirs de signalement à l’autorité judiciaire) et art. 153 (obligation de faire rapport à l’assemblée générale des actionnaires).
[3] v. ASSONIME: “Il rapporto Assonime sulla corporate governance: l’evoluzione degli standards e delle prassi”, aprile 2024
[4] v. ASSONIME: “Position Papers 4/2024 – Proposte per una riforma organica del TUF. Eliminazione del goldplating, valorizzazione dell’autonomia statutaria, allineamento alle best practice internazionali per rendere più attrattivo il nostro mercato di Borsa”