Dans le cadre du Plan d’Action de modernisation du droit des sociétés de 2012, le législateur européen a décidé d’adopter des mesures visant à renforcer les mécanismes de gouvernance au sein des sociétés cotées afin d’améliorer le niveau de transparence, la qualité de l’information et le dialogue entre les sociétés et leur actionnariat.
Cette initiative européenne a abouti – après trois ans de discussions – à l’adoption de la Directive 2017/828/UE du Parlement et du Conseil européen du 17 mai 2017, modifiant la Directive 2007/36/CE, sur les droits des actionnaires. Le dispositif européen a l’ambition de promouvoir l’engagement à long terme des actionnaires des entités cotées. Le rôle principal de ces derniers est d’exercer un contrôle sur la gestion des dirigeants, en faisant entendre leur voix lors du vote en AG. La Directive 2017/828/UE renforce donc les droits politiques de contrôle des actionnaires et ajoute à la Directive 2007/36/CE des dispositions portant sur les sujets suivants :
- Identification des actionnaires : toute société cotée peut demander à ses intermédiaires financiers de lui communiquer les informations permettant d’établir l’identité de ses actionnaires.
- Participation effective des actionnaires à la vie sociale des entités cotées à travers l’exercice du droit de vote lors des assemblées générales.
- Augmentation du niveau de transparence des investisseurs institutionnels et des gestionnaires d’actifs.
- Renforcement du contrôle des actionnaires sur la rémunération des dirigeants et sur les opérations avec les parties liées.
L’Italie se met en conformité avec la législation européenne
En Italie, le décret législatif n°49, publié au Journal officiel le 10 mai 2019 a introduit une série de mesures destinées à transposer la Directive 2017/828/UE et à modifier les normes contenues dans le Code civil et le TUF (Texte unique de la Finance). Les mesures adoptées sont axées autour de cinq grands axes :
Identification des actionnaires
L’objectif du dispositif européen est d’améliorer l’identification des actionnaires partout dans l’Union européenne de manière à permettre aux sociétés cotées de connaitre avec plus de précision la structure de leur actionnariat. Le décret législatif 49/2019 a donc modifié le texte de l’article 83-duodecies du TUF, il dispose que la société cotée (indépendamment des normes des statuts) a le droit de demander, directement à un intermédiaire, l’identité de ces actionnaires. Ce droit d’identification demeure toutefois restreint puisqu’il concerne les actionnaires titulaires d’un seuil minimal de 0,5% du capital social.
Participation effective des actionnaires à l’assemblée générale
Pour faciliter l’exercice de leurs droits par les actionnaires, le décret législatif n°49/2019 a ajouté un nouvel alinéa à l’article 127-ter du TUF. Aux termes de l’alinéa 1-bis dudit article, l’avis de convocation doit mentionner le délai pour la présentation et le traitement des questions proposées par les actionnaires sur les matières inscrites à l’ordre du jour de l’AG. Ces questions doivent parvenir à la société au moins 5 jours avant la date de l’assemblée générale. Lorsque l’avis de convocation prévoit que la société doit répondre aux questions posées par les actionnaires avant la date de l’AG, le conseil d’administration doit faire parvenir cette réponse aux actionnaires au moins 2 jours avant la date de l’AG et doit la rendre publique sur le site Internet de la société.
Transparence des intermédiaires financiers et des proxy advisors
La Directive 2017/828/UE poursuit également l’objectif de promouvoir l’engagement à long terme des investisseurs institutionnels. Elle souligne que les investisseurs institutionnels sont désormais devenus des acteurs majeurs dans le capital des sociétés cotées européennes. En tant que titulaires de participations significatives, ceux-ci jouent un rôle toujours plus important dans la définition de la stratégie et de la gouvernance d’entreprise.
En partant de ce constat, la Directive 2017/828/UE a décidé d’augmenter le niveau de transparence des investisseurs institutionnels et des gestionnaires d’actifs. Elle requiert que ces derniers doivent rendre public sur leur site Internet les éléments clés de leur stratégie d’investissement. Le décret législatif 49/2019 a donc reformulé les alinéas de l’article 124 du TUF de manière à les mettre en conformité avec le texte européen.
Opérations avec les parties liées
Pour ce qui concerne les opérations avec les parties liées, la Directive 2017/828/UE n’apporte pas de bouleversement majeur, mais simplement quelques ajustements. Dans ce sens, on peut dire que le dispositif visé par le Règlement de la Consob n°17221 du 12 mars 2010 (Règlement OPC), mis en place par le législateur italien, a déjà devancé les instances européennes.
Ainsi, sans imposer de contrainte supplémentaire significative aux émetteurs italiens, le décret législatif 49/2019 ajoute un troisième alinéa à l’article 2391-bis du Code civil. Il prévoit que la Consob – conformément à l’article 9-quater de la Directive 2007/36/CE – est habilitée à fixer des dispositions permettant d’identifier :
- Le seuil de significativité des opérations avec les parties liées, qui doit être appréciée en fonction de critères quantitatifs et tenir compte de la contrevaleur de la transaction ou de l’impact de celle-ci sur la société.
- Les règles de procédure et de transparence, qui doivent être proportionnées aux caractéristiques des transactions et à la taille de la société. La Consob doit, par ailleurs, identifier les cas qui excluent l’application, totale ou partielle, de ces règles.
- Les cas où les administrateurs, impliqués dans une transaction conclues avec des parties liées, doivent s’abstenir de participer au vote.
Le droit italien devra donc être ajusté en ce qui concerne le devoir d’abstention du vote des administrateurs. Par contre, le périmètre des transactions avec les parties liées – notion qui est définie par les normes comptables internationales (IAS 24) – et le seuil de significativité de ces opérations coïncident déjà avec le dispositif européen.
Au-delà, le décret législatif 49/2019 introduit un régime de sanctions à appliquer dans le cas de violation de l’article 2391-bis du Code civil et des dispositions règlementaires de la Consob. Ainsi, aux termes du nouvel article 192-bis du TUF, les sociétés cotées sur des marchés réglementés et les dirigeants investis de fonction d’administration et de direction qui ne respectent pas les dispositions précitées peuvent être sanctionnés.
Rémunération des dirigeants
Conformément aux exigences européennes, le décret législatif 49/2019 a modifié l’article 123-ter du TUF et a prévu un dispositif de say-on-pay reposant sur deux votes des actionnaires : un vote ex ante sur la politique de rémunération et un vote ex post sur les rémunérations dues ou octroyées au cours de l’exercice précèdent. Les sociétés cotées doivent mettre à la disposition du public, au moins 21 jours avant la date de l’assemblée générale et selon les modalités établies par la Consob, un rapport portant sur la politique de rémunération et sur les rétributions des dirigeants et administrateurs de la société.
- Vote ex ante
Le vote ex ante est contraignant ce qui impose aux sociétés de ne verser de rémunération à leurs dirigeants que conformément à une politique de rémunération approuvée, au moins tous les trois ans, par l’assemblée générale des actionnaires.
A défaut d’approbation de la politique de rémunération de la part de l’assemblée générale, la société doit continuer à rémunérer ses dirigeants conformément à la politique précédemment approuvée ou, en l’absence d’une telle politique, conformément aux pratiques existantes. La société doit dans les deux cas soumettre aux actionnaires une politique révisée lors de la prochaine assemblée générale.
La première section du rapport consacré à la politique de rémunération est donc soumise au vote ex ante de l’assemblée générale. Elle doit expliquer de façon claire la politique de la société pour ce qui concerne la rétribution des membres des organes d’administration et des dirigeants investis de responsabilités stratégiques, et décrire le processus procédural du mécanisme de say-on-pay.
La définition de cette politique de rémunération est censée contribuer à la mise en œuvre de la stratégie de l’entreprise, à la poursuite de l’intérêt social à long terme et à la durabilité de l’entreprise.
- Vote ex post
L’assemblée générale doit se prononcer, chaque année, par un vote ex post consultatif sur la deuxième section du rapport portant sur les rémunérations des membres des organes d’administration et des dirigeants investis de responsabilité stratégiques.
Ce rapport doit détailler les éléments composants la rémunération, fixe et variable, attribuée au titre de l’exercice précèdent, et doit expliquer la façon dont le vote des actionnaires – prononcé au cours de l’assemblée générale précédente – a été pris en compte par le conseil d’administration.
Enfin, le décret législatif 49/2019 introduit une autre nouveauté, il établit que la violation des dispositions visées par l’article 123-ter du TUF de la part de personnes qui exercent des fonctions d’administration, de direction ou de contrôle entraine l’application d’une sanction administrative pécuniaire dont le montant peut aller de 10.000 à 150.000 euros.
Conclusions
Les mesures adoptées par le législateur italien – en conformité avec la Directive 2017/828/UE – sont censées renforcer la gouvernance des sociétés cotées italiennes. Cependant, il est difficile en ce moment de prévoir si ces mesures pourront être à long terme vraiment efficaces. Il faudra attendre les prochaines assemblées génerales pour voir comment les actionnaires des entreprises cotées italiennes ont réagi à l’introduction de ces nouvelles dispositions.
gp@giovannellapolidoro.com
* cf. ASSONIME, “Il recepimento della direttiva shareholder rights II nell’ordinamento italiano”, Circolare Assonime n°21 du 4 novembre 2019. www.assonime.it.