Un jour d’été 2015, dans un beer garden de Barcelone, Joost Minnaar et Pim De Morree parlent de travail et se plaignent de leur situation. Employés dans de grandes entreprises, ils se sentent frustrés et fatigués de se devoir se plier à des procédures et protocoles datés, qui ne laissent aucune place à la créativité, à la prise d’initiative et à l’indépendance d’esprit.

Issus d’une génération à laquelle l’allongement des études a promis un emploi passionnant, Joost Minnaar et Pim De Morree n’ont aucune envie de faire le même métier déprimant pendant 40 ans. Ils veulent plus. De l’excitation. De l’aventure. De l’imprévu. Pour eux, rien ne plus excitant que choisir sa propre vie et devenir-soi.

D’ailleurs, ils ne sont pas les seuls à ne pas se sentir impliqués dans leur travail. Le manque d’engagement des employés est un problème sérieux, répandu partout dans le monde. Selon une récente étude réalisée par l’institut de recherche Gallup – qui mesure depuis des années l’engagement des salariés dans plus de 150 pays – à l’échelle mondiale, seulement 15% des employés se sent impliqué dans leur travail.

Ce qui veut dire que la majorité des salariés est totalement désengagée et manque de marge de manœuvre pour contribuer à la réussite de leur entreprise. Dans ce groupe, certains engrangent un tel niveau de frustration qu’ils vont jusqu’à saboter leur lieu de travail. Ces saboteurs représentent 18% du personnel.

Il n’y a pas besoin d’être P-DG ou d’avoir le feu vert des ressources humaines pour faire briser le « status quo » et changer ces méthodes de travail qui datent du siècle précédent. Effectivement, ce sont les derniers vestiges d’un monde stable, lente et prévisible, qui aujourd’hui n’existe plus.  

Pour que les entreprises puissent révolutionner, de fond en comble, leur organisation et faire évoluer leur mode de management, il faut avoir une vision à long terme, inspirer les autres à faire autant, les inciter à prendre part au processus et à agir.

Co-fondateurs de Corporate Rebels – mouvement mondial pour transformer l’entreprise et le travail – Joost Minnaar et Pim De Morree ont parcouru le monde (de la Californie à l’Australie, de l’Espagne à la Suède, de la Norvège au Japon, au Brésil, etc.) pour aller à la rencontre de ces pionniers qui ont déjà sauté le pas.

Ils ont discuté avec P-DG, universitaires et gourous et ont visité plus d’une centaine d’entreprises, depuis les PME familiales jusqu’aux ONG, en passant par des départements gouvernementaux, des cabinets de conseil, des sociétés cotées en Bourse ou non et des grandes entreprises.

Dans leur livre Corporate Rebels – qui peut être à juste titre considéré comme le manifeste de ce mouvement mondial – ils proposent 8 alternatives pour transformer radicalement le travail et l’organisation des entreprises, indépendamment de la taille ou du secteur d’intervention.

  1. Passer du culte du profit à raison d’être

La gestion des entreprises s’est jusqu’ici fondée sur les principes Tayloriens dont l’objectif est d’améliorer la productivité à travers un meilleur contrôle de l’activité des employés. La recherche incessante de l’efficience pousse bien d’entreprises à exiger une productivité extrême en échange de moins d’énergie, de temps et d’argent possible. Pour cela, elles ont besoin d’un management fort concentré sur la mise en en place de stratégies tournées vers la maximisation du profit à court terme. Ces maigres aspirations ne s’accordent pas avec la réalité actuelle et n’améliorent pas la situation des employés. Les Corporate Rebels incitent, par contre, les entreprises à devenir plus positives et à se doter d’une raison d’être. Celle-ci doit obéir à certaines règles : elle doit être authentique, sincère, courageuse et réelle. L’heure est venue de passer de la parole aux actes pour changer le mode de faire entreprise et penser à l’avenir des générations futures.

  1. De l’organisation pyramidale à des équipes en réseau

Le changement est lent et difficile à mettre en œuvre. Malgré les nombreuses initiatives adoptées par certaines structures progressistes, les grosses entreprises sont de plus en plus traditionnelles. Elles créent des règles centralisées e opèrent encore avec huit niveaux de hiérarchie. Ce système pyramidal coûte de l’argent et n’assure pas un bon niveau de transparence et de communication entre les différentes fonctions de l’entreprise. Paradoxalement, c’est la forte croissance des années 1990 qui a révélé les limites de la hiérarchie pyramidale. Dès lors, nombreuses entreprises ont adopté une organisation matricielle, où les employés sont divisés en équipes selon leur expertise et savoir-faire et font un compte rendu à leur supérieur en tant que gestionnaire du projet. Cependant, c’est modèle de gestion est très compliqué et, de plus, il est inefficace. Or les progressistes encouragent à se débarrasser des veilles structures organisationnelles et à créer un réseau de petites équipes autonomes. Ce qui permet aux employés de devenir entrepreneurs de la firme, d’augmenter leur motivation et confiance en soi et par là d’améliorer les performances économiques de l’entreprise.

  1. De l’autoritarisme à l’accompagnement

Le passage d’une structure organisationnelle centralisée à un réseau d’entreprises autonomes s’accompagne d’une transformation importante du management. Un environnement de travail traditionnel a la tendance à privilégier les relations avec les dirigeants placés au sommet de la hiérarchie (souvent les mieux payés) au détriment des collaborateurs plus compétents, expérimentés et aux idées les plus brillantes. Cette mentalité archaïque est désormais dépassée. Diriger, c’est soutenir et accompagner les autres, pas les commander. Les dirigeants doivent encourager les employés à déployer leur créativité, à influencer l’innovation, à aborder les sujets les plus sensibles, à faire écouter leur voix et à collaborer à la prise de décision. Les entreprises les plus progressistes sont celles qui ont le courage de laisser les employés choisir démocratiquement leurs dirigeants ou bien d’opter pour une direction sans cesse renouvelée.

  1. De la planification à l’expérimentation et l’adaptation

Les entreprises traditionnelles ne font qu’ajouter de la complication à leur organisation. Les dirigeants passent du temps fou à planifier chaque détail sans créer de la valeur. La prédiction est encore la base des modèles de prise de décision. Cependant, à l’heure de l’intelligence artificielle, du Big Data, de la collecte d’informations et des réseaux sociaux, il est impossible de prédire l’avenir et de présager le succès d’une politique de gestion. Le business plan n’est pas une boule de cristal. Dans ce contexte en perpétuel mouvement et toujours plus complexe et incertaine, les entreprises ont besoin d’une nouvelle approche pour faire face aux défis d’aujourd’hui et de demain. Elles doivent créer un environnement de travail fondé sur l’adaptabilité, l’expérimentation, la résiliation et la réactivité. Il est temps de mettre un terme à l’utilisation des mécanismes de contrôle et de prédiction.

  1. Des règles du contrôle à la liberté et à la confiance

Un bon dirigeant, pour mobiliser et motiver ses équipes, doit savoir déléguer, fixer les objectifs, partager les informations et créer un climat de confiance. Il doit s’adapter aux contextes, aux situations, mais également aux individus en tant que tels. Le leadership n’a rien à voir avec l’autoritarisme. Les progressistes sont ceux qui sont capables de remplacer les veilles théories managériales avec de nouvelles idées. Et de créer un environnement où les employés rendent des comptes à leurs pairs, pas à leur chef. Certains d’entre eux sont allés encore plus loin jusqu’à expérimenter la semaine de 4 jours et à permettre aux employés de fixer leur propre salaire.

  1. D’une autorité centralisée à une autorité distribuée

Un grand nombre d’entreprises progressistes savent s’adapter à un monde du travail en évolution rapide. Elles ont compris que les prises de décisions centralisées ralentissent les entreprises. C’est pourquoi, elles s’appuient souvent sur les personnes et les équipes en première ligne, qui connaissent le mieux les clients, les fournisseurs et les infrastructures. L’autorité et la prise de décision dispersée ont le vent en poupe, au sein de ces entreprises. Mais attention : être libre de prendre des décisions implique une grande responsabilité. Les progressistes preferent déléguer le contrôle et la prise de décision autant de fois que cela apparaitre possible. Ce qui veut dire que les dirigeants doivent former, éduquer et informer les employés pour qu’ils soient en mesure de prendre les bonnes décisions.

  1. De la culture du secret à la transparence radicale

La transparence absolue est un aspect important des entreprises progressistes. Elle permet aux employés d’être plus motivés et plus performants, de bien s’entendre avec ses collègues de travail, de faire confiance à ses dirigeants et de participer à la prise de décisions. Les progressistes s’engagent à rendre toutes les informations publiques, au moins d’avoir une bonne raison de ne pas le faire.

  1. Des fiches de postes figées à l’exploitation des talents

Les individus grandissent mieux quand ils sont entourés de gens en qu’ils ont confiance. Les progressistes laissent libres les employés de choisir ses propres mentors et de décider comment ils veulent se former. Ceux qui font preuve d’ouverture et de flexibilité ont plus de chances d’attirer et de retenir les meilleurs talents. En plus, ils envoient un signal fort: l’orientation choisie par l’entreprise, pour gestir ce sujet sensible, coïncide avec les objectifs de développement qu’elle s’est fixée.

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