Le Parlement européen a adopté le règlement sur les green bonds établissant une nouvelle norme européenne pour les obligations vertes. Mais avant d’analyser ce que prévoit le nouveau règlement européen, il convient de préciser les circonstances qui ont conduit à son adoption.

La Conférence de Paris en 2015 a appelé le monde financier dans son ensemble à prendre conscience des risques que le changement climatique fait peser sur la stabilité financière et démocratique de nos sociétés, l’incitant à financer des projets innovants pour atténuer les effets négatifs du réchauffement climatique et réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Depuis leur apparition sur le marché en 2007, les green bonds ont attiré l’attention des investisseurs intéressés par le financement de projets d’investissement écologiquement durables, c’est-à-dire ayant un impact positif sur l’environnement et les conditions climatiques de la planète, afin de promouvoir la transition écologique et la croissance durable.

L’Union européenne (UE) a joué un rôle de pionnier dans ce domaine. Ces dernières années, elle s’est dotée de nouvelles réglementations (par l’adoption des règlements Taxonomie, Disclosure et Benchmark) qui visent à créer des normes et des règles harmonisées dans l’ensemble de l’UE afin de garantir le bon fonctionnement du marché.

En septembre 2021, l’UE est devenue le plus grand émetteur d’obligations vertes au monde, en levant 12 milliards d’euros. Les obligations vertes émises par l’UE serviront à financer une partie du plan de relance « Next Generation EU » de 800 milliards d’euros destiné à aider l’économie européenne à se remettre de la crise de la pandémie de la Covid-19.

En émettant des obligations vertes, l’UE vise à lever 250 milliards d’euros d’ici à 2026. Il s’agit du plus grand plan de relance jamais financé en Europe, qui contribuera à la transition vers une économie moderne, plus durable, plus numérique, plus résiliente et plus attentive aux besoins des générations futures.

Mais qu’est-ce qu’un Green Bond ?

Les green bonds, également connues sous le nom de climate bond, sont des instruments de dette. Leur particularité est qu’il s’agit d’obligations émises pour financer des projets écologiquement durables qui ont un impact positif sur l’environnement et le climat. Afin de faciliter la transparence, un rapport annuel est communiqué aux investisseurs, contenant des informations sur le développement des projets financés et l’utilisation des fonds.

En fin de compte, les green bonds sont des instruments financiers destinés à accélérer la transition vers une économie durable et à faible émission de carbone. Ils peuvent être utilisés pour financer ou refinancer partiellement ou totalement des projets verts. Il peut s’agir de projets d’investissement dont l’objectif est de financer le traitement de l’eau et des déchets, la prévention et le contrôle de la pollution, la construction d’infrastructures de transport et de bâtiments respectueux de l’environnement, la production d’énergie à partir de sources propres, l’utilisation durable des sols, la protection de la biodiversité, etc.

La première émission d’obligations vertes au monde a été réalisée par la Banque européenne d’investissement (BEI), en juillet 2007, avec le lancement sur le marché de l’obligation “Climate Awareness Bond”. C’est Aldo Romani, alors directeur de la BEI, qui a eu l’idée de cette obligation.

Depuis lors, les obligations vertes se sont rapidement développées, révolutionnant le monde des instruments financiers, principalement grâce à l’impulsion donnée par l’Accord de Paris, l’Union européenne et ses États membres, qui n’ont pas cessé de pousser et d’encourager les investisseurs à se tourner vers le marché des obligations durables.

Qui peut emettre des Green Bonds ?

L’émission d’obligations vertes a toujours été du ressort d’institutions financières supranationales, telles que la Banque mondiale ou la Banque européenne d’investissement. Avec l’évolution récente des problématiques liées au financement et à la mise en œuvre de la transition écologique, le marché des obligations durables s’est également ouvert à d’autres acteurs économiques.

Il existe aujourd’hui trois grandes catégories d’émetteurs sur le marché :

  • Les émetteurs publics ou SSA (Sovereigns, Supranationals & Agencies), qui comprennent les organisations supranationales, les agences gouvernementales et les Trésors nationaux.
  • Les émetteurs privés financiers, qui empruntent sur les marchés financiers afin de financer les projets verts de leurs clients.
  • Les émetteurs privés non financiers, qui sont composés d’entreprises et notamment d’entreprises qui exercent leur activité dans le secteur des services à la collectivité (par exemple : Engie, EDF, EDP, TenneT…).

Les principes GBP de l’ICMA

Lors de la conférence de Paris en 2015, certains investisseurs – attirés non seulement par la réalisation de profits, mais aussi par le bien-être environnemental – ont appelé à l’adoption de critères standards universels pour faciliter l’émission d’obligations vertes et donc les interactions avec les émetteurs sur les questions de transition écologique.

L’International Capital Market Association (ICMA) avait déjà publié, en 2014, les Green Bond Principles (GBP), qui sont rapidement devenus une référence pour les investisseurs durables.

Les principes des GBP sont un ensemble de lignes directrices décrivant les meilleures pratiques en matière d’émission d’obligations vertes. Applicables sur une base volontaire, les principes GBP permettent à une obligation donnée d’être certifiée « verte ». Leur objectif est de promouvoir la transparence et l’exactitude des informations pour les investisseurs afin de garantir l’intégrité du marché.

Mis à jour en 2021 par l’ICMA, les principes GBP sont destinés à être largement appliqués car leur objectif est de :

  • Fournir aux émetteurs un référentiel des principaux éléments qui doivent être présents pour qu’une obligation soit valablement qualifiée de verte, mais aussi des procédures d’émission à suivre.
  • Accroître la transparence et la précision des informations afin que les investisseurs puissent évaluer l’impact environnemental de leurs investissements.
  • Protéger les souscripteurs d’obligations vertes en assurant la divulgation d’informations utiles pour faciliter les nombreuses transactions sur le marché.

Les principes GBP de l’ICMA recommandent également que les émetteurs communiquent aux investisseurs et aux autres parties prenantes (banques, souscripteurs…) toutes les informations dont ils ont besoin pour comprendre les caractéristiques d’une obligation verte. En fait, on peut dire qu’une obligation verte est conforme aux principes des GBP si elle répond aux quatre critères clés suivants :

  1. L’utilisation des fonds :
    L’émetteur doit définir la raison d’être d’une émission d’obligation verte et préciser les modalités de financement des projets verts éligibles. Ces projets doivent être correctement décrits dans le prospectus accompagnant le titre. Tous les projets verts éligibles mentionnés doivent avoir un bénéfice environnemental clair, qui sera estimé et, dans la mesure du possible, mesuré par l’émetteur.
  2. Le processus de sélection et d’évaluation des projets :
    L’émetteur doit communiquer aux investisseurs (i) les objectifs de préservation de l’environnement des projets verts éligibles, (ii) la manière dont l’émetteur détermine l’appartenance d’un projet aux catégories de projets verts éligibles, (iii) les informations complémentaires portant sur l’identification et la gestion des risques environnementaux et sociaux (ES) associés aux projets concernés, (iv) la stratégie et les politiques adoptées en matière environnementale, ainsi que (v) les mesures d’atténuation qu’il entend mettre en oeuvre, et les informations d’alignement des projets verts éligibles à la taxonomie officielle.
  3. La gestion des fonds :
    Le produit net de l’obligation verte, ou un montant équivalent, doit être crédité sur un souscompte, déplacé vers un portefeuille secondaire, ou faire l’objet d’une autre forme adéquate de fléchage. L’émetteur doit garantir ce montant au moyen d’un processus interne formalisé afférant à ses opérations de prêt et d’investissement dans des projets verts éligibles.
  4. Le reporting :
    Les émetteurs doivent établir, conserver, et mettre à disposition des investisseurs un dossier d’information sur l’utilisation du produit de l’obligation verte. Ce reporting doit être actualisé chaque année jusqu’à l’allocation totale des fonds et en temps opportun par la suite, en cas d’évolution substantielle de l’allocation. La transparence est un facteur clé de la communication sur l’impact attendu ou final des projets verts éligibles. Les principes GBP de l’ICMA recommandent d’utiliser des indicateurs de performance qualitatifs et, si possible, quantitatifs et de présenter la principale méthodologie et les hypothèses utilisées pour les évaluations quantitatives.

L’ICMA invite les émetteurs à s’aligner également – toujours sur une base volontaire – sur les deux recommandations suivantes afin d’assurer une transparence maximale sur les questions concernant :

  • Emission d’obligations vertes :
    Les émetteurs doivent fournir des informations claires sur l’alignement de leurs obligations vertes ou de leur programme d’émission d’obligations vertes avec les quatre principes essentiels des GBP (Utilisation des Fonds, Processus de Sélection et d’Évaluation des Projets, Gestion des Fonds et Reporting) dans un cadre d’émission (Framework) d’obligations vertes
    ou dans leur documentation juridique. Ce cadre d’émission d’obligations vertes ou bien cette documentation juridique doit être mis à la disposition des investisseurs dans un format facilement accessible.
  • Revues externes :
    Les émetteurs sont encouragés à recourir à un auditeur externe, ou à un autre tiers, pour évaluer, par le biais d’une revue externe préalable à l’émission, la conformité globale de leur obligation verte ou de leur programme d’obligations vertes avec les quatre principes essentiels des GBP. Les émetteurs doivent rendre les résultats des revues externes publics sur leur site Internet ou bien via tout autre mode de communication accessible.

L’ICMA accorde aux émetteurs une grande liberté d’interprétation de ses GBP. Ils peuvent choisir de s’y conformer ou non.

Le Règlement UE sur les Green bonds

La Commission européenne, pour sa part, compte tenu de l’importance de la finance durable ces derniers temps, a décidé en 2021 de fixer des règles claires également pour l’émission d’obligations vertes. Dans le cadre de la stratégie renouvelée visant à rendre le système financier de l’UE plus durable, la Commission a présenté un projet de règlement visant à définir la « norme de l’UE » pour l’émission d’obligations vertes.

Le Conseil a finalisé sa position sur la proposition le 13 avril 2022. Les trilogues qui ont débuté le 12 juillet 2022 se sont terminés le 23 février 2023 par un accord provisoire entre le Parlement et le Conseil.

La norme EU Green Bond Standard (EUGBS) a un champ d’application subjectif. Elle est conçue comme une référence volontaire permettant aux émetteurs, publics et privés, d’obtenir la certification de « European green Bonds » ou « EuGB » pour la commercialisation de leurs titres verts.

La norme EUGBS s’inspire largement des principes GBP de l’ICMA. Cependant, contrairement à ces derniers – qui se concentrent sur le processus d’émission – la norme EUGBS s’intéresse aux projets d’investissement et a, En outre, l’un des principaux objectifs est d’atténuer le risque de blanchiment de capitaux associé aux instruments de financement en demandant un alignement et des rapports plus stricts.

L’objectif est d’aider les investisseurs à identifier les projets les plus méritants, d’améliorer la qualité des outils et de renforcer les exigences de transparence et d’audit externe par un auditeur ou un autre tiers.

Le projet de règlement proposé par la Commission européenne a été adopté définitivement par le Parlement européen lors de sa séance du 5 octobre 2023. Les nouvelles normes EUGBS deviennent la première norme au monde à donner une définition précise des green bonds et établissent des règles plus claires pour les émetteurs qui devront donc se conformer aux principes suivants :

  1. Les émissions d’obligations vertes doivent porter sur une des activités énumérées par le règlement Taxonomie de l’UE
  2. Les émetteurs doivent assurer la plus grande transparence et publier des reporting de façon à fournir aux investisseurs des informations claires et détaillées sur les modalités d’affectation des capitaux investis
  3. Les émissions d’obligations vertes doivent être contrôlées par des auditeurs externes ou des tiers indépendants. Ceux-ci doivent donc vérifier que les émissions d’obligations vertes sont en conformité avec les dispositions visées par le Règlement Taxonomie, et que les projets d’investissement sont alignés sur la taxonomie européenne
  4. Les revues externes sont des outils importants pour renforcer la confiance dans le marché des obligations vertes, et pour éviter le greenwashing. Pour cette raison, le projet de Règlement prévoit que les auditeurs externes doivent être enregistrés et contrôlés par l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) afin de garantir la qualité et la fiabilité des services d’audit.
  5. Enfin, le règlement Green bonds introduit également un autre élément de flexibilité. Le législateur européen a en effet précisé que tant que la taxonomie ne sera pas pleinement opérationnelle, les émetteurs d’une obligation verte européenne devraient veiller à ce qu’au moins 85 % des fonds collectés par l’obligation soient affectés à des activités économiques conformes aux critères de taxonomie. Les 15 % restants peuvent être affectés à d’autres activités économiques, à condition que l’émetteur respecte les exigences relatives aux informations sur l’affectation de l’investissement.

Pour le moment, les normes européennes ne sont pas contraignantes. Les émetteurs sont libres de s’aligner ou non sur la norme EUGBS. En optant pour la soft law (sur une base volontaire) plutôt que pour la hard law, le législateur européen a voulu maintenir la pratique internationale inaugurée par les principes de l’ICMA GBP.

Le règlement Green Boands deviendra applicable après approbation du Conseil de l’Union européenne. Par la suite, le texte sera publié au Journal officiel de l’UE et entrera en vigueur 20 jours après la date de publication. L’entrée en vigueur des nouvelles dispositions est prévue douze mois après leur publication.

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